Après le marathon

Le jeune homme sortit du frigidaire quelques denrées qu’il se fit un plaisir de faire chauffer sur le gaz… Autant le dire, le fait d’utiliser un four micro-onde n’était pas dans ses habitudes. Il se souvint alors les barbecues qu’ils faisaient au domaine Ernst. Etrangement le jeune homme avait toujours préféré la viande cuite à la viande crue, sans doute parce que sa mère l’y avait habituée. Elle avait sans doute alors jugé que les parasites qu’on trouvait parfois dans la viande froide risquaient de nuire à la santé de son fils chétif. Aujourd’hui il ne faisait cependant aucun doute que le Sodel aurait put manger un cuisseau de bœuf cru sans avoir le moindre souci de digestion ou de mastication. Il se fit un beefsteak et fit réchauffer un peu de poulet qu’il leur restait de la veille. Mangeant avec bonheur et lentement, comme c’est de coutume lorsqu’on est chef de meute et qu’on a aucun risque de se faire voler sa nourriture par un membre de la meute qui soit plus fort ou trop dégénéré pour être vaincu. Puis il entendit le cri de la jeune femme. Tranquillement il attrapa le récipient où se trouvaient les aliments qu’il était en train de manger et se dirigea vers la salle de bain. Prenant une cuisse de poulet entre ses doigts, il poussa la porte avec le coude tout en mordant dans la chair cuite.

"Ca partira vite…"

C’était toujours ce que lui disait sa mère…. Alors qu’elle savait très bien qu’il était moins résistant que la plupart des Sodell. Dès qu’il avait un bleu il restait présent presque aussi longtemps que celui d’un humain. Bien sûr la chose avait changé aujourd’hui, et le réflexe qu’il avait eu de dire la même chose qu’aurait dit sa mère ne lui apparut pas comme tel. Pour lui c’était simplement une remarque comme une autre. Autant le dire, Héloïse n’aurait jamais pu supporter sa belle-mère, et ça aurait été réciproque… Quoi que… Non, la mère Verand aurait désossé Héloïse juste pour montrer à son fils que ce n’était pas une femme pour lui. Autant le dire clairement, la rencontre était improbable, ça éviterait le bain de sang. Mais soudain le jeune homme eût une pensée. Les parents de la jeune femme. Sans doute serait-il bon qu’il les rencontre, après tout s’il voulait faire une meute avec elle, il serait bon de savoir de quelle meute elle sortait. Il lâcha alors sans sourire, juste sur le ton de la conversation :

"Et si tes parents venaient ce week-end ?"

Il regarda la jeune femme, attendant sa réponse, voyant la chose comme un évènement banal il ne s’attendait pas à une réaction particulière, juste une discussion sur le fait qu’ils soient ou non libres à cette date.

La blonde attendait son compagnon de pied ferme. Quand il pénétra dans la salle de bains, elle lui désigna d'un index rageur les diverses marques laissées par leurs ébats prolongés. A sa réponse évasive, elle gonfla ses poumons, prête à partir dans une tirade enflammée mêlant injustice notoire, problème vestimentaire, brutalité domestique et refus de câlins, quand la calme question de Lucid la fit se dégonfler comme un ballon.

- Mes... Ce week-end ?

La jeune fille battit des cils, plusieurs fois. Puis, ses yeux se remplirent de larmes, et elle fila de la salle de bains en courant. Elle descendit les escaliers à toute allure, récupéra son sac de cours et sortit avec sur le perron. Là, elle s'assit, farfouilla dans la besace et en tira son téléphone, sur lequel elle choisit un numéro.

- Maman ? Oui, c'est moi, coucou... Quoi de neuf ? … Ah chouette ! … Oui, oui oui... La maison est mignonne... A ce propos... Ça vous dirait, à Papa et toi, de... passer manger, ce week-end ? Hmmmoui, avec nous, c'est ça... (elle écarta le combiné de son oreille avec un petit sourire) Contente que tu sois contente ! … Bon, tu vois quel jour convient à Papa, et tu me rappelles ? Nous on est libres les deux jours a priori. … Hmmm ? Mais oui, je suis contente. Je suis un peu saisie, c'est tout. Bon, je te laisse ? Plein de bisous !

La blonde raccrocha d'un geste sec, puis resta à regarder dehors en mordillant ses lèvres, songeuse. Décidément, la Terre avait dévié de son axe pendant cette après-midi...

Le jeune homme la vit se dégonfler en un instant, comme si elle avait perdu toute détermination, les épaules basses, le teint soudain légèrement blanc. Elle avait l’air d’être totalement prise au dépourvu, non il était clair qu’elle l’était. Puis soudain elle passa à côté de lui. Le brusque passage de passif à actif avait étonné le Sodel qui l’avait donc laisser passer sans dire mot mais pas sans la suivre. Lorsqu’il comprit qu’elle s’arrêterait à l’entrée de leur maison, il marcha tranquillement et cessa lorsqu’il entendit qu’elle appuyait sur les touches de son téléphone. Un SMS ? Non, bientôt il comprit qu’elle était en train de passer un appel. Il alla se mettre contre le mur du couloir et écouta avec attention, un léger sourire apparaissant petit à petit sur ses lèvres. Elle acceptait, elle voulait être avec lui. Il sentait sans mal qu’elle n’était pas au mieux de sa forme mais au moins elle proposait à ses parents. Et apparemment ceux-ci accepter. Lorsqu’elle eût raccroché, il alla jusqu’à la porte et l’ouvrit, alors Lucid lâcha d’une voix assez tendre :

"Je suis heureux que tu ais accepté…" Il pensa un très bref instant à inviter sa mère, non, pas une option envisageable. Elle était véritablement trop sévère pour ça, et sévère au sens Sodel ça signifiait autre chose que hurler ou faire des remarques désagréables. "J’irai chasser le matin de leur arrivée, ils auront du gibier abattu naturellement, quelque chose qui a plus de goût que ce qu’on trouve en ville. Ils seront bien accueillis."

Ses pas le menèrent alors jusqu’à sa compagne qu’il prit tranquillement dans ses bras, déposant un petit baiser sur son front avant de la guider jusqu’à l’intérieur de la maison. Lentement ils progressèrent jusqu’à leur chambre, lieux où ils auraient tout le loisir de se reposer. Il lui demanda si elle voulait qu’il lui apporte à manger, puis il se roula en boule et ferma les yeux, trouvant le sommeil en bien peu de temps…

* * *

Ce samedi là, un chien arriva sur le porche de la maison, tenant entre ses crocs un lièvre. Le Sodel pénétra à l’intérieur de sa maison et reprit forme humaine, il plaça la dépouille sur le plastique disposé sur la table en bois, dans la cuisine, puis il alla chercher un boxer qu’il enfila. Il s’occupa de dépecer et de vider ses prises du matin. Trois lièvres et deux marcassins. Autant le dire ils auraient de quoi manger tout de même. Il laissa deux bons kilos de viande crue, ne sachant pas trop ce que préfèrerait la belle famille et prépara les autres pour le passer au grill, dans le jardin. Il voulait montrer à ses "beaux-parents" qu’ils n’avaient pas besoin de se cacher à l’intérieur d’une maison et qu’ils avaient de la place au cas où une progéniture arriverait. Il comptait expliquer en profondeur la situation à ces gens, pour leur expliquer qu’il n’y avait aucun membre de leur race dans les environs et que ça leur offrirait de belles perspectives. Puis il alla prendre une douche, trouvant que sentir la chasse ne serait pas vraiment le mieux qu’il puisse faire, il ne voulait pas réveiller trop de bestialité. En effet, il n’avait pas les capacités d’un adulte de sa race, il ne voulait pas jouer les prédateurs devant les parents de sa partenaire. Il s’habilla proprement, avec des vêtements qui mettant quand même bien en forme sa carrure toute en muscle.

Les Sodell arrivaient.

[Je te laisse prendre le contrôle de ces deux personnages supplémentaires ]

Héloïse était au bord de la crise nerveuse. Ses parents arrivaient dans deux heures, et le problème crucial de son habillage n'était pas résolu. Bon, il fallait aussi vérifier ce que Lucid avait fait, donc, elle descendit en jupe et soutien-gorge pour faire le tour du propriétaire. Cuisine : ok. Salon et salle à manger : ok. La table était dressée dans le jardin, le grill préparé, donc : ok. Elle remonta les escaliers : salle de bains, ok. Elle entra dans la chambre. Bon, c'était clairement le souk, avec toutes ses fringues entassées au sol pour cause de choix cornélien. Mais à part ça... Ok. Elle s'approcha de Lucid, l'observa avec sévérité. Mais... ok. Et miam, même. Elle secoua la tête, lui fit un sourire crispé et retourna à la recherche du T-Shirt idéal.

Soudain, elle releva la tête, dressant l'oreille. Un air paniqué se peignit sur son visage. Elle prit un haut au hasard et l'enfila rapidement, courut à la salle de bains se passer un coup de brosse, et cavala dans les escaliers pour ouvrir la porte à la volée. Elle se jeta dans les bras d'une jolie femme mince aux cheveux blonds-roux et du même gabarit qu'elle, qui vacilla sous l'impact. Les deux femmes furent retenues avant leur chute par un homme de haute stature, presque aussi large que haut, qui en profita pour les serrer toutes les deux dans ses bras.

Le mère d'Héloïse se dégagea rapidement des étreintes combinées de son mari et de sa fille, et jeta un regard acéré autour d'elle.

- Trêve de plaisanteries : où est la perle rare à laquelle j'ai confié ma fille ?

Le jeune homme regarda passait la jeune femme devant lui à toute allure sans lui adresser le moindre regard… Autant dire qu’elle était plutôt vive lorsqu’il s’agissait de ses parents. Il avait bien entendu sentit l’approche deux membres de leur race, y trouvant l’odeur si particulière qu’avait les animaux et les hommes-bêtes. Il se saisit des plats qu’il avait préparé et laissés en intérieur pour ne pas qu’ils subissent les méfaits du soleil. Puis il se dirigea vers la sortie, sachant qu’en mettant en avant l’abondement de denrées il donnerait une image d’adulte responsable. S’il y avait bien quelque chose d’important dans la culture de la plupart des Sodell, c’était la capacité à ramener de la nourriture. Tout le monde savait que sans nourriture il était impossible de vivre, de gagner en muscle et de donner la vie. Autant le dire clairement : pas de descendance sans de bons repas. Il salua ses "beaux-parents" d’un hochement de tête, inclinant le chef en signe de respect plus que d’infériorité. Il ne tenait pas à se montrer comme un sous-fifre mais bien comme un hypothétique chef de meute. Il emporta le tout jusque près du barbecue puis se dirigea vers la maison et posa une main sur celle-ci pour signifiait qu’elle lui appartenait tout en les invitant d’un mouvement de main à avancer… Certes c’était eux qui avaient financé l’achat de la propriété, mais c’était lui qui y habitait et c’était lui qui l’avait trouvé, il comptait bien le leur signifier. Ca n’était pas un affront, plus une mise au point, il leur indiquait tout le respect qu’il avait pour eux sans pour autant leur laisser entendre qu’il leur était redevable. Aucun Sodel n’aimait affirmer ses créanciers. Il alla jusqu’à la table avec eux, tout d’abord, le repas, la suite viendrait après. Tout bon membre de leur race était plus docile une fois la panse pleine. Il mit un peu de sanglier sur les braises… Une chose que n’aimait pas tout le monde il fallait bien le dire, mais lui adorait ça. La saveur du gibier mêlé à un petit goût de feu de bois. Quel délice ! Il avait déjà tiré les chaises afin qu’ils s’assoient dès leur arrivée. Autant le dire, le jeune homme ne tenait vraiment pas aux préambules. Clairement, il était stressé jusqu’à l’os mais ne tenait pas à le montrer et il doutait que quelqu’un d’autre que sa chère compagne ait pu s’en rendre compte. Il suivait tout le protocole qu’il avait connu à Loonart, espérant que celui-ci était universel. Ne pas perdre son temps en parole, pas de contact physique, pas de regard trop insistant, de la nourriture et un certain sens de l’hospitalité mêlé à une forme de fierté qui empêcher de laisser croire qu’on était plus serviable que généreux. Oui, il faisait tout dans les règles d’un art qu’il n’était pas certain de partager avec les parents L’Abbé… Mais après tout qu’aurait-il pu faire de plus que ce qu’il avait déjà vu accomplir ? Lucid n’était pas une flèche, Héloïse le savait très bien.

Héloïse, un peu surprise, suivit du regard son compagnon vaquer rapidement à toutes sortes d'occupations, après un signe de tête un rien raide à ses parents. Elle eut un sourire amusé en constatant qu'il avait « subtilement » affirmé sa propriété sur la maison, ainsi que démontré ses talents de chasseur, et de protecteur. Du grand art, vraiment ! Sa mère se pencha contre son oreille et murmura :

- Il est toujours comme ça ? Je suis admirative... (un silence) A première vue, tu as très bien choisi ton compagnon, ma chérie. Silencieux, discipliné... Appétissant...

Héloïse fronça les sourcils une fraction de seconde avant de répondre sur un ton doux et maîtrisé :

- Oh, mais il est aussi dur à la tâche, endurant, viril... Et à moi.

Sa mère prit un air interdit quelques secondes avant de laisser filer un rire sec et d'embrasser sa fille sur la tempe. Héloïse lui fit un sourire sincère avant de se lever pour aller à la cuisine chercher la nourriture de son père.
Ses parents étaient aussi dissemblables que possible l'un de l'autre. Sa mère était une renarde dans toute sa splendeur : rusée, opportuniste et revancharde, alors que son père était... un Sodel-panda d'un flegme absolu. Il avait une force physique impressionnante, mais ne désirait pas s'en servir. LA seule fois où Héloïse l'avait vu la mettre en avant avait été quand il avait fallu l'éloigner d'eux pour éviter un esclandre avec les Sodel dominants de sa région d'origine. Ce dont elle lui était absolument reconnaissante. Acoquinée à douze ans à ce crétin de Random... Erk. Plutôt crever. Bref. Elle farfouilla dans le frigo pour lui dégotter son tofu préparé, et l'amena sur table, grimaçant devant l'odeur de la mixture. Comment préférer ce truc immonde à de la viande fraîchement tuée ?

Bon, maintenant, voir si son père, qu'elle avait vu amorcer un mouvement vers Lucid, avait réussi à « décoincer » celui-ci. Un vrai challenge, vu que son père était du genre débonnaire... pour un Sodel. Elle posa le tofu sur la table et s'assit à côté de sa mère, qui regardait les deux mâles avec un air de conspirateur.

- Dis Maman, rassure-moi... Ils vont pas se foutre sur la tronche quand même ?

Lucid était toujours devant le grill, savourant les douces effluves qui se dégageaient de la viande en train de griller, il y avait dans ce mélange de gibier et de feu de bois quelque chose de véritablement séduisant… Et un rien agressif. Il écarquilla les yeux en comprenant que pour que l’odeur du père d’Héloïse se porte jusqu’à ses narines, celui-ci devait s’être approchait. Le Sodel serra instinctivement la pique qui lui permettait de retourner la viande afin de la cuire uniformément. Il ne savait rien de cet homme et celui-ci s’approchait de lui comme d’une connaissance. Trop proche, trop proche. Il avait vu la carrure du type et il avait des facultés d’adulte, autant dire qu’il se ferait broyer avant d’avoir compris ce qui lui arrivait. Les sens en alerte, le jeune homme se tourna doucement vers son "beau-père". Se nettoyant les mains dans un chiffon, la pique qu’il tenait un peu plus tôt étant posée sur le petit plateau où il poserait bientôt la viande. Il avait réussi à se résoudre à abandonner cette arme qui risquait de lui donner des airs combattifs qu’il ne voulait surtout pas mettre en avant. Ses ambitions de tueur ne devaient surtout pas transparaître aujourd’hui, il était en compagnie de la famille de sa compagne, hors de question que ceux-ci mettent leur véto sur leur relation. D’un bref coup d’œil, il remarqua que les deux femmes étaient déjà en train de discuter, mais il ne s’y attarda pas. Sa nature lui interdisait de garder un pareil bonhomme hors de son champ de vision durant une seconde entière. Le jeune Verand ne vit pas l’erreur de tenter de sourire, il savait très bien que toute sa tension serait alors apparue et que ça aurait été sans doute pris comme de la faiblesse. Il lança alors d’un ton tranquille :

"Vous préférez quoi, viande crue ou viande cuite ?"

Il avait attrapé les plats pour les présentaient lorsqu’il se fustigea intérieurement… Il avait totalement oublié qu’il parlait à un herbivore. Une goutte de sueur descendit depuis sa tempe jusque sur sa joue, au pire il ferait passer ça sur le compte de la chaleur qui se dégageait des braises. Il inspira doucement et ajouta assez vivement :

"Moi j’ai toujours préféré la viande cuite."

Paniqué, il baissa rapidement la tête et s’esquiva, allant vers la table comme pour y trouver refuge… Il n’avait même pas laissé le père d’Héloïse en placer une. Ne pas perdre le contrôle, ne pas perdre le contrôle… Non, décidément il n’était ni assez intelligent, ni assez sociable pour s’en sortir. Il posa les plats sur la table avec une grande fluidité, ses facultés physiques ne le trahissaient pas, c’était déjà ça. Il regarda un instant sa "belle-mère" et d’un petit geste l’invita à se servir… Elle le rendait encore plus mal à l’aise que son mari… Non, vraiment, ça n’allait pas. Il ne se sentait pas bien et comprenait qu’il n’arriverait pas à se ressaisir s’il n’était pas au calme une minute ou deux. Il plongea alors son regard dans celui de sa partenaire et y trouva un peu de sérénité, il en profita pour prendre une grande inspiration et eût un petit sourire avant de lâcher d’un ton presque décontracté :

"Je vais nous chercher quelque chose à boire !"

Le jeune homme se dirigea rapidement vers l’entrée et alla jusqu’à la cuisine, là où ils ne risquaient pas de le voir depuis l’extérieur. Il sentait quelque chose de bizarre… Merde ! Son paquet de clope, il l’avait totalement oublié. Prenant rapidement l’objet de discorde entre ses mains, il se félicita d’avoir fait griller de la viande. Celle-ci avait permis de camoufler l’odeur du tabac séché. Il ne tenait pas à ce que ses beaux parents sachent qu’il fumait. Il respira l’air, quelque chose… Oui ! Héloïse tenait à la propreté, elle lui avait demandé d’astiquer la cuisine pour qu’elle soit propre. Des produits. Il alla rapidement vers l’évier, l’ouvrit et calla son paquet entre deux bouteilles de détergent, là où on ne les sentirait pas. Il alla ensuite rapidement vers le frigidaire, se félicitant intérieurement de n’avoir pas fumé depuis quelques jours. Il prit un pichet d’eau fraîche et se saisit aussi d’un jus de fruit, il avait pressé les pamplemousses lui-même… Ca plairait sans doute à son herbivore de "beau-père". Espérons. Il sortit de nouveau et posa le tout sur la table, s’assurant que tout le monde y était installé avant de s’asseoir lui-même… Alors il resta figé. Est-ce qu’il fallait qu’il prenne rapidement l’initiative pour affirmer son statut de mâle alpha ou est-ce qu’il devait faire passer ses invités en premier ? Pas le temps de réfléchir, il recopia ce qu’il avait déjà vu chez les Ernst. Il se saisit rapidement d’un morceau de sanglier grillé et mordit dedans avant de le poser dans son assiette en se léchant les doigts. Le terme civilisé n’avait pas le même sens pour les Sodell que pour les humains.

Héloïse admira l'approche de son père : mains en évidence, suffisamment lentement pour permettre à Lucid de le remarquer sans être surpris... Mais elle connaissait assez Lucid pour savoir que la présence d'un Sodel adulte et inconnu risquait de le rendre nerveux, voire plus. D'ailleurs, il lui semblait bien que la position de son compagnon était un rien tendue.

- Se battre, je ne sais pas ma chérie... Par contre, il me semble tout prêt à se faire un ulcère, ton amoureux...

Lucid se dirigea vers elles avec le plat de viande cuite, le déposa sur la table et fit un geste pour signifier qu'il ne fallait pas hésiter à se servir, jeta un coup d'oeil à Héloïse puis battit en retraite du côté de la cuisine. La blonde resta bouche bée. Il était complètement affolé oui ! Elle s'apprêtait à le rejoindre pour le calmer un peu, mais sa mère lui posa la main sur le bras, et murmura :

- Si tu y vas, c'est que quelque chose est visible. Il vaut mieux qu'il pense qu'on n'a rien compris à son stress. Reste là. (à son mari qui les rejoignit et s'assit) Alors ?

- Il est... poli mais tendu. C'est un costaud en tous cas. Il est lié à quel animal ?

- Heuu... Doberman, Papa.

- Oh ciel. Encore un canidé. (il soupira avec un sourire entendu) Bon, disons que pour l'instant, tout me semble bien.

A ce moment là, les pas de Lucid se firent à nouveau entendre, et il revint porteur d'eau et de jus de fruits. Le jeune homme posa le tout sur la table et s'assit à son tour. Il resta tendu et figé une fraction de seconde avant de se décider à se servir.

Héloïse se mordit l'intérieur des joues pour ne pas rire. Il était complètement... craquant comme ça, à vouloir très -trop ?- bien faire. Avant que qui que ce soit ait pu parler, elle se leva et alla s'assoir sur le siège contigu à celui de son compagnon, posant discrètement, sous la table, une main sur son genou, et se servant à son tour de l'autre.

Son père eut un sourire appréciateur, et sa mère un air qu'elle connaissait bien : elle allait commencer à attaquer.

- Et donc, quelles sont exactement vos intentions, jeunes gens ?

Lorsqu’il sentit la chaleur de la main de la renarde approchait de sa cuisse, Lucid ne put s’empêcher de l’arrêter par réflexe… Il avait tout juste eu la présence d’esprit de ne pas lui broyer l’articulation du poignet et avait même réussi à mettre un peu de délicatesse au mouvement sur la fin. Il était plus tendu qu’aurait put l’être une corde d’ancrage. Ses yeux pénétraient en profondeur dans les détails de la scène, il prenait tout en considération, ne voulant absolument rien manquait… Et il lui semblait bien que ses "beaux-parents" le surveillaient de près eux aussi sous le masque d’une bienveillance parentale tout à fait normal. Surtout sa mère. La mère de sa renarde ne semblait pas vraiment être du genre brutal – le père non plus d’ailleurs – mais par contre elle transpirait toute la ruse qu’on retrouvait chez la fille. Il manqua de se mordre la lèvre lorsqu’il comprit qu’elle allait prendre la parole. Il trouvait soudain indécent d’être aussi proche de sa partenaire, comme si c’était un affront fait à ses parents. Le jeune Verand était si stressé qu’il semblait entouré par le danger. Pourtant avant que les parents d’Héloïse n’arrivent les rôles étaient inversés. Lui qui préparait tranquillement les victuailles et sa chère compagne qui s’échinait à récurer de fond en comble la maison à plusieurs reprises comme si c’était une question de survie. Maintenant la splendide demoiselle était pour le moins décontractée. Quant à lui… Il frôlait l’incident cardiaque. Puis lorsque les paroles tombèrent enfin, il laissa le vide s’installait en lui. Cette question emportait tout son tracas et le ramenait à des réalités propres à son existence. Quelles étaient leurs intentions ? Il ne doutait pas que sa jeune compagne ait une réponse à fournir, mais il préféra prendre la parole aussi vite que possible, pour montrer à quel point il était sûr de ça. Aussitôt son stress tomba, laissant place à toute sa volonté.

"Nous voulons former une meute… Indépendante dans un premier temps, puis dominante dans un second. Il n’y a aucun clan dans les environs, pas un seul Sodel. C’est assez inquiétant et… Pour tout vous dire c’est l’une des raisons qui m’a donné envie de vous rencontrer. Le fait qu’aucun membre de notre communauté ne soit présent en ville ou dans ses environs m’a fait soupçonner quelque chose – et nos voisins Neeroo me l’ont confirmé. Il y a eu une guerre, il y a déjà trente ans et les nôtres ont été vaincus par une coalition de Roguerr, de Sonacemm et de Balphomm. Les Neeroo ont étés repoussé jusqu’aux villages alentours. Nous avons tout à parier que nous ne serons pas bien accueillis. C’est là que le bas blesse. C’est là que j’aurai besoin de vous. Si jamais je venais à être tué, si Héloïse devait revenir auprès de vous… Accepteriez-vous de garder avec vous notre enfant ?"

Il n’en avait jamais dit le moindre mot à sa compagne, il ne voulait pas évoquer devant elle la possibilité qu’il meure en tentant de conquérir un territoire dans la ville. Pourtant la question s’était posée plusieurs fois à lui depuis qu’il l’avait rencontrée, depuis qu’il envisageait de fonder une meute avec elle. Il savait que dans certaines familles ont accepté pas les enfants qui avaient perdu un parent lorsque l’autre était encore jeune. Ca permettait de fonder une meute sans avoir à se soucier d’une entreprise loupée. Ca n’arrivait pas au sein des familles principales, il le savait, mais chez les familles annexes, c’était une pratique presque courante dans ce genre de cas. Et pensait que ses enfants risquaient de mourir s’il perdait lui-même la vie, ça lui était insupportable… Surtout depuis qu’il avait découvert les sentiments qu’il avait pour Héloïse. Il fixait à présent sa "belle-mère", attendant la réaction de celle-ci, sachant par instinct qu’elle serait plus décisive que celle de son mari. Il espérait qu’elle serait parfaitement sincère avec lui, c’était ce pourquoi il la regardait avec tant d’intensité… A moins que se ne fut pour s’empêcher de croiser le regard d’Héloïse à qui il avait déjà avoué tant de choses et à qui il cachait encore de sombres pensées qui le prenaient parfois. Encore une fois, il avait parlé beaucoup, chose assez impressionnante pour lui, mais ça l’avait libéré de son stress. Et maintenant il sentait une nouvelle anxiété venir… Si jamais la réponse était négative, il devrait peut-être choisir de… Il n’arrivait pas à formuler cette conséquence, même en pensée. Non, il attendait de savoir.

La renarde savait que ce serait sa mère qui poserait les questions. Celle-ci n'aurait pas la patience d'attendre que son mari les formule de manière plus civile, bien qu'ils aient probablement préparé leur « texte » ensemble. Quoi qu'en pense sa mère, les parents d'Héloïse faisaient un duo quasi parfait : la fourbe intelligence de l'une tempérée par le je-m'en-foutisme affiché du second. La force de son père au service du sens des réalités de sa mère. Un spectacle dont elle ne se lassait pas.

Cependant, elle ne pensait pas que la première question serait celle ci. Pas aussi vite. Aussi écouta t-elle Lucid répondre avec attention. Au fur et à mesure de sa réponse, la jeune fille se sentit blêmir. Et aux phrases finales, elle ôta sa main du genou de Lucid avec brusquerie. Elle se sentait manquer d'air. Son regard rencontra celui, calme, de son père, qui lui indiqua le barbecue d'un mouvement discret du menton. En réponse, la jeune fille se leva, et dit d'une voix contrainte :

- Papa, peux-tu m'aider pour le second service s'il te plaît ? (à Lucid et sa mère) Vous pouvez continuer à discuter, surtout, ne vous gênez pas.

Et elle se rendit au fond du jardin à grandes enjambées. Son père se leva en soupirant, et dit à Lucid :

- Ne surprenez jamais un renard. Ils détestent ça.

Puis, il rejoignit la jeune fille. La mère d'Héloïse regarda un instant son mari parler à sa fille, puis braqua son regard ambre sur celui de Lucid.

- Il a raison. Elle sera très en colère. Pas nécessairement pour les bonnes raisons, mais ce sera le cas. (elle prit appui sur ses coudes, posés sur la table) Maintenant, pour en revenir à votre question, la réponse est celle-ci : au cas où il vous arriverait malheur, nous ferions en sorte de veiller sur eux. Par contre, je crains que la conception de « laisser quelqu'un veiller sur moi » d'Héloïse et la vôtre soient quelque peu différentes. Vous aurez pu constater qu'elle a un sens très développé de sa liberté personnelle, plus que rare dans notre race. Ceci dit, cela peut évoluer quand elle deviendra mère... Rassuré sur ce point ?


Héloïse fulminait, et tant pis si les effluves de sa colère parvenaient jusqu'à la ville voisine. Elle aurait aimé hurler, mais se contentait de gronder sans discontinuer en faisant des allées et venues incessantes. Son père la contemplait d'un air appréciatif, et finit par dire :

- Tu te donnes en spectacle, Hell.
- JE NE ME... (l'homme fronça les sourcils, et la jeune fille prit une profonde inspiration) Pardon. Mais... Je ne supporte pas ça, Papa. De lui, j'arrive à accepter plein de choses qui me hérissent le poil ordinairement. Une forme de soumission, ce type de choses... Mais là... Il... Il a pris la décision tout seul, il ne m'a même pas parlé de la possibilité que...

La jeune fille serra les lèvres avec obstination. Hors de question de continuer à parler de cette voix couinante.

- Et tu n'y avais pas réfléchi ? Ma chérie, vous projetez de prendre le contrôle d'une ville où il n'y a pas un seul d'entre nous, et ça ne t'a pas semblé étrange ? Et tu ne t'es pas renseignée ?
- Oh, ça va... N'en rajoute pas, tu crois que je ne me sens pas déjà assez mal ?

L'homme-bête prit la jeune fille dans ses bras.
- Les gens qu'on aime nous font réagir comme des idiots. Tu vas pouvoir survivre au reste du repas ?
- Oui. Je ne suis pas sûre d'être très loquace, mais bon.

Ils se mirent tranquillement à marcher vers la table du repas.

Il ne voulait pas froisser la jeune femme, mais il savait très bien comment elle allait réagir lorsqu’il allait énoncer les choses de cette façon. C’est ce pourquoi il n’avait cessé d’observer la mère de celle-ci, faisant son possible pour ne pas détourner son regard lorsqu’elle faillit laisser exploser sa colère avant de partir vers le barbecue… Ne pas regarder en direction du grill, ne pas les regarder, ni elle, ni son père. Il fallait qu’ils s’éloignent. Il regardait toujours sa "belle-mère" et nota avec attention tous les mouvements qu’elle fit. Il n’y avait aucun doute à avoir, Héloïse était le portrait de sa mère, elles étaient les mêmes. Mais Lucid n’avait aucun mal à comprendre que cette renarde-ci était autrement plus expérimentée et plus dangereuse… Quelque part, au fond du crâne du Sodel, et au fond de son cœur, il nota en lettres de feu "ne jamais surprendre un renard". Autant le dire, il avait fait l’erreur une fois avec la fille il ne la referait plus, et il ne la ferait jamais avec la mère. Car si la colère de la jeune L’Abbé entraînait souvent des cataclysmes, il ne valait mieux pas savoir de quoi était capable celle-ci ! Il resta muet tout en écoutant avec attention ce qu’elle lui disait. Elle était intelligente, ça se voyait dans son regard, mais ses paroles ne faisaient qu’ajouter à cette impression. Un peu bas de plafond, le doberman mit toute sa concentration dans la compréhension de ce qu’on lui disait. Lorsqu’elle eût fini, il allait répondre de manière assez brève lorsqu’il entendit sa compagne haussait la voix. Il tourna immédiatement la tête vers elle, par instinct de communauté, au cas où ça annoncerait un danger. Mais ça n’était pas le cas… Oui, comme l’avait dit sa mère, la jeune fille était en colère. Mais il la connaissait depuis maintenant huit mois, il avait réussi à voir au-delà de son indépendance, au-delà de ses envies de liberté. Il connaissait très bien la jeune fille. Et si comme ses parents le voyaient, elle était en colère et vexée… Il voyait quant à lui toute l’étendue de la tristesse qu’elle cachait dans ses phrases, dans ses regards. Jamais à aucun moment il ne s’était senti aussi aimer qu’en cet instant… Elle faisait des efforts pour lui, elle l’avait toujours aidé à se calmer, mais il avait toujours vu que c’était dans leur intérêt à tous les deux. Sa façon d’agir en cet instant, en abandonnant toute sa nonchalance, c’était comme d’avouer que le perdre lui était insupportable. Savait-elle seulement que ça l’était tout autant pour lui ? Savait-elle que même s’il ne redoutait pas la bataille, au fond de lui, il ne voulait jamais la perdre, même dans une mort glorieuse ? Savait-elle qu’il craignait qu’elle souffre autant qu’il aimait qu’elle soit heureuse ? Il se retourna vers la renarde adulte, son regard était figé par toute la volonté qu’il avait, tout ceci motivé au fond de lui par son amour pour Héloïse.

"Je ne vous demande pas de veiller sur Héloïse, je vous demande d’accepter notre enfant, même s’il m’arrive quelque chose. Jamais je ne ferai l’affront à Hell de la prendre pour une faible qu’il faut protéger…"

Il espérait avoir été assez concis et assez clair. Peut-être avait-il été un peu brusque mais la diplomatie n’avait jamais été dans ses domaines de prédilections. Il vit bientôt la jeune femme revenir en compagnie de son père vers la table. Il ne savait trop que faire, il devait bien se l’avouer. Se lever pour la prendre dans ses bras ? Quitter la table un moment pour la laisser parler avec ses parents ? Non, il avait peur d’être vu comme un lâche ou d’être repoussé. Et n’était-ce pas un peu de la lâcheté que d’avoir peur de ces choses ? Baste ! Il passa outre et mordit dans la viande à pleine dent, puis lorsqu’il eût mastiqué un moment sa bouché, histoire de se défouler sur quelque chose de déjà mort, il proposa du jus de pamplemousse à ses invités puis en fit de même avec l’eau claire, s’en servant un verre après avoir fait le service. Lorsqu’il eût reposé le pichet sur la table il marqua une pause. Il fallait qu’il fasse comprendre une chose à chacune des trois personnes qui se trouvaient là. Attrapant alors sans ménagement Héloïse par la nuque, puisqu’il était hors de question qu’elle lui résiste en cet instant précis, il déposa bientôt ses lèvres sur les siennes, lui proposant un baiser passionné… Restait à savoir si elle y répondrait étant donné son état de nerf. Il voulait en cet instant prouver à la jeune femme tout l’amour qu’il avait pour elle et à ses parents il voulait montrer qu’ils ne faisaient pas que copiner. De cette façon, il rassurait les uns et les autres. Sa compagne en lui assurant par la même qu’il ferait tout pour rester à jamais à ses côtés et ses parents en leur promettant des petits enfants à venir et donc une véritable meute en devenir pour leur fille.

La mère d'Héloïse eut un rire bref en entendant la réponse de Lucid.

- Ne vous inquiétez pas : s'il vous arrive malheur, votre enfant sera bien accueilli chez nous. J'en réponds. Un petit avec l'intelligence d'Héloïse et votre... (son regard se fit appréciateur) physique, serait un atout pour n'importe quelle meute. Un petit... voire plusieurs. (elle leva les yeux vers les nouveaux arrivants) Ta viande va refroidir ma douce.

La jeune fille blonde s'assit sans regarder personne, son humeur fluctuant entre l'agressivité et l'envie de fondre en larmes, il valait mieux qu'elle reprenne son calme au moins en partie avant de se risque à une quelconque interaction sociale. Elle piocha vaguement un morceau de viande dans le plat et le contempla avec une attention exagérée. Elle sursauta quand Lucid la prit par la nuque de manière presque brutale pour lui imposer un baiser. Elle songea à résister, puis se souvint que ses parents étaient là pour contempler un couple, de futurs parents, une meute en devenir, et pas deux chiffonniers. De plus, si elle résistait, Lucid risquait de devenir plus... brutal et elle n'était pas certaine que son père apprécie. Elle prit donc sur elle de ne pas repousser le jeune homme mais sa main se referma de manière convulsive sur le malheureux morceau de viande qu'elle tenait encore. Elle laissa ses mains reposer le long de ses flancs, sans toucher son compagnon, de peur de tenter de lui arracher un morceau de chair.

A la fin du baiser, elle se laissa retomber sur sa chaise.

Son père prit alors la parole sur un ton amusé :

- Et... Je suppose que vous avez commencé à voir si il pouvait y avoir des alliés potentiels dans les environs ? Pas d'autres Sodell, c'est entendu, mais les Neeroo dont vous nous avez parlé, peut-être ?

Le panda se saisit délicatement d'un morceau de tofu et se mit plus à l'aise dans son siège, visiblement désireux d'amener la conversation sur quelque chose de moins... intimement stressant.

Les choses n’allaient pas au mieux c’était le moins que l’on puisse dire. Sa chère et tendre était sur la défensive, une bonne chose lorsqu’on savait comme lui que si ça n’avait pas été le cas, elle aurait été sur l’offensive. C’était l’une des plus grosses crises que leur couple avait connu en huit mois à n’en pas douter. Jamais elle n’avait été aussi furibonde, et pour cause, sa colère était amplifiée par sa peur et par le fait qu’il ne lui ait rien dit ! Il savait comment gérer les accès de colère de la jeune femme d’habitude, mais là, en présence de ses parents, il n’allait pas se débarrassé un coin de table pour la prendre devant eux. Et à vrai dire il douta que la toucher fut un fin stratagème, la connaissant, mieux valait attendre qu’elle ait au moins la décence de ne pas l’attaquer si jamais il tentait de l’atteindre physiquement. Bien heureusement, le panda lui offrit bientôt l’occasion de détourner son attention de la situation pour en revenir à une discussion… D’adultes… Non, il n’avait pas les capacités d’un adulte, il le savait bien, cependant il en avait les ambitions et il était hors de question qu’il abandonne ses projets. Il prit un très bref instant pour répondre à son interlocuteur qui semblait presque amusé, à moins que ce ne fût juste pour détendre l’atmosphère ?

"Les Neeroo ne seront pas des alliés de poids, ils n’ont aucune affinité avec la ville, ils préfèrent rester ici entre eux, se protéger les uns les autres. Ils nous ont accueilli, mais de là à nous suivre dans cette conquête. Il leur faudrait une motivation, et je n’en ai aucune à leur fournir."

Il marqua une petite pause et attrapa un morceau de viande cuite qu’il prit vivement entre ses dents, s’en déchiquetant un peu avant de mâcher longuement puis d’avaler. Il poussa un profond soupir, une viande délicieuse, vraiment, tout autre chose que ce qu’on pouvait trouver dans un supermarché ou même dans une boucherie. Le père d’Héloïse quant à lui n’avait rien d’un carnassier, mais bien que ça révéla chez lui une attitude plus passive qu’active, Lucid ne faisait pas l’erreur de le croire faible, à n’en pas douter il aurait fini démembré avant d’avoir put atteindre la gorge de cet homme. Les Sodell sont bien des choses, mais pas des proies faciles, même lorsqu’ils ne mangent pas de viande ! Quant à la mère, elle lui avait assuré que leurs enfants seraient accueillis au sein de leur meute si jamais il venait à mourir. Il semblait aussi que la renarde adulte avait eu un regard appréciateur quant à sa carrure, une perspective troublante lorsqu’on avait été éduqué sous le joug d’un mâle alpha plus brutal que tout… Jamais Ernst n’aurait permis à l’une de ses promises de regarder ainsi un jeune freluquet, l’un de ses fils peut-être ou l’un de ces plus fidèles amis, il y aurait trouvé là la preuve qu’il avait une bonne engeance ou de bons alliés… Mais jamais un adolescent comme lui. De toute évidence la façon de fonctionner de cette famille était totalement différente de ce qu’il avait connu jusque là. Il alla même jusqu’à se demander si ce n’était pas elle, la femelle alpha, qui prenait qui bon lui semblait. Pourtant d’après Héloïse, ils étaient ensemble par amour. Quelque chose ne collait pas… Ou alors il était tout simplement trop stupide pour arriver à concevoir l’embranchement des faits.

Héloïse écoutait distraitement la conversation. Son père avait à son tour pris la parole, et elle ne fut pas surprise qu'il choisisse un sujet plus neutre, afin de calmer les choses. C'était pour ça que le couple de ses parents tenait au bout de toutes ces années, malgré la déception que sa mère avait ressentie quand il s'était avéré que son père ne serait jamais à la hauteur de ses espérances : le panda réussissait à trouver un dérivatif à toutes les colères, tensions et autres crises générées par la présence de deux renardes entre ses murs, et ce sans utiliser sa force physique. Son intuition et son calme lent étaient réellement apaisants. Elle supposait toutefois qu'il devait avoir aussi recours au subterfuge utilisé par Lucid sur elle, car elle avait surpris plus d'une fois sa mère feindre la colère ou l'agacement avant de disparaître avec son époux dans la chambre parentale... et de revenir le sourire aux lèvres.

Ce fut sa mère qui reprit la parole, et cette fois-ci la question fut plus incisive.

- Et si vous n'avez pas d'alliés, comment comptez vous arriver à fonder une meute... Et à la protéger ? Ma fille m'a confié que vous étiez du genre costaud, mais ça ne sera probablement pas suffisant contre des Roguerr si vous êtes seuls.

Héloïse soupira : elle n'avait définitivement plus faim. Mais elle ne pouvait pas quitter la table maintenant que la conversation devenait sérieuse. Sauf que... son corps choisit pour elle : elle sentit une puissante sensation de nausée l'envahir, et se leva précipitamment.

- Pardon, je... je reviens.

Et elle se dirigea vers la salle de bains, sans courir, mais de manière quand même plutôt précipitée.

Cette fois-ci la mère de sa compagne fut autrement plus agressive, ne manquant d’appuyer de tout son poids sur ce qui faisait de toute évidence le plus défaut dans leur situation : la protection. S’il y avait bien une insulte connue et répétée dans le monde Sodel, c’était de se voir lancer au visage qu’on était trop faible, ou trop stupide, pour arriver à prodiguer les défenses nécessaires à la survie de sa meute. Il plongea son regard dans celui de la femme, lui montrant par la même à quel point il était déterminé, peut-être aussi à quel point il était téméraire et s’apprêtait à répondre lorsque quelque chose le perturba. Héloïse se leva soudain de sa chaise, le teint blême, il la regarda immédiatement d’un air affolé… Il doutait que la viande ait pu la mettre dans un tel état, elle était succulente. Mais alors quoi ? Elle était malade ? Prit de panique il manqua de se lancer à sa poursuite lorsqu’elle s’excusa et se dirigea vers la maison, mais il n’en fit rien. D’une part parce que laisser ses invités là était très loin du protocole, et d’autre part parce qu’elle était en colère contre lui. Et il n’aurait pas supporté de se faire repousser alors qu’il pensait qu’elle avait besoin de sa présence à ses côtés. Il inspira donc profondément après avoir entendu la porte de la maison s’ouvrir et se tourna de nouveau vers la renarde adulte qui se trouvait à sa table.

"Les Roguerr ne sont pas l’unique menace, les Sonacemm font de fiers guerriers lorsqu’ils le veulent et je n’ai pas encore toutes mes facultés d’adultes. Je sais très bien quel danger nous guette, mais tant que nous restons ici, dans ce village, nous sommes alliés aux Neeroo. Nous avons la place nécessaire pour nous entraîner et le temps pour tout préparer. Jamais je ne mettrai votre fille en danger de manière inconsidérée… Jamais."

Un léger grondement était apparu dans sa voix sur cette dernière phrase, comme pour mettre en garde toute personne qui serait susceptible de mettre en doute sa parole qu’il ne se gênerait pas pour attaquer, tous crocs dehors, même si ça devait signifier sa mort dans l’instant ou une atroce agonie. Il ne laisserait pas dire qu’il ne tenait pas à Héloïse, car en bien peu de temps elle était devenue l’emblème d’un rêve qui se réalise, sans parler du fait qu’elle avait conquis son cœur d’animal. Et il se demandait où elle était en cet instant, elle était parti si précipitamment et si blême qu’il doutait qu’elle soit en bonne santé. A vrai dire il avait pleinement conscience qu’elle ne l’était pas. Mais pourquoi ? La maladie ? C’était tellement rare chez les Sodell qu’on craignait toujours le pire lorsque l’un d’eux tombé malade. Alors quoi ? Elle n’était tout de même pas blessée. Non, il aurait senti le sang ou il aurait vu l’hématome à n’en pas douter. Il fallait qu’il la laisser tranquille, c’était le plus important, et garder l’ouïe aux aguets des fois qu’elle l’appelle... Mais il ne pouvait décemment pas quitter la conversation à cet instant, ça aurait ruiné l’image qu’avaient de lui ses "beaux-parents", si image il y avait tout du moins.

Les parents d'Héloïse écoutèrent la tirade passionnée du jeune Sodel avec un sourire appréciateur, comme s'ils attendaient cette réaction, et la trouvaient à leur goût. Le père d'Héloïse posa sa grosse main sur celle de sa femme, et celle-ci eut un rire léger.

- Je crois que notre petite a trouvé le mâle protecteur dont elle a besoin, chéri. Maintenant, si vous me permettez, messieurs, je vais me laver les mains.

La renarde se leva avec grâce, et se dirigea vers l'intérieur de la maison d'une démarche sinueuse.

- Et donc, vous avez trouvé ce petit coin de nature comment, Lucid ?


Héloïse arriva à peine jusqu'à la salle de bains avant de se mettre à vomir, et elle eut l'impression que cet exercice désagréable durait des heures. Quand ce fut -enfin- fini, elle alla se passer de l'eau sur le visage et se brossa plusieurs fois les dents. Puis elle resta plusieurs secondes appuyée sur le lavabo. Qu'est-ce que c'était encore que ce bordel ?

Elle ne fut pas vraiment étonnée d'entendre gratter à la porte d'une manière qu'elle connaissait bien. Elle grogna un assentiment, et la porte s'ouvrit en laissant passer sa mère. Celle-ci s'appuya contre le chambranle de la porte, la jaugeant d'un regard calme.

- Il est au courant ?
- … Trop tôt.
- Il va s'en apercevoir, tu sais.
- Je sais. Mais c'est trop tôt. J'attends d'être sûre. Si ça ne... marchait pas, je préfère qu'il ne soit pas au courant.
- Et pourquoi ? Tu as peur qu'il te laisse ?

Héloïse releva vivement la tête, foudroyant sa mère du regard. Puis, elle soupira.

- … Sans doute. Et puis... Il aurait de la peine.

La renarde adulte rit doucement.

-Vous êtes trop mignons...

Le père d’Héloïse était véritablement quelqu’un de prévenant, alors que la renarde quittait la table pour rejoindre sa fille, ça ne faisait aucun doute même pour le jeune Sodel un peu gauche intellectuellement qu’était Lucid, il faisait la conversation. Comment avait-il fait pour trouver ce petit coin de nature ? Et bien ça n’était pas vraiment difficile, lorsqu’on voyait des enfants à peine en âge de marcher s’amuser autour d’un cours d’eau sans la moindre surveillance, il n’était pas difficile de penser qu’il s’agissait de Neeroo. Il avait donc demandé tranquillement aux enfants où étaient leurs parents puis sous leurs indications avaient trouvé le village. De là il s’était présenter de but en blanc comme étant celui qu’il était : un Sodel cherchant un endroit calme où s’installer. On lui avait tout de suite indiqué qu’il ne fallait pas emmener les ennuis, sans quoi il serait contraint à l’exil. Il leur avait alors exposé brièvement son projet d’être en paix avec sa compagne, ils avaient accepté, non sans lui rappeler qu’il devrait faire preuve de prudence pour éviter de rendre les choses difficiles. Ils lui avaient aussi raconté la petite histoire qui faisait qu’aucun des membres de leurs deux races n’étaient présent en ville. Mais bon, tout ça il pouvait se priver de l’énoncer, il se contenta donc de répondre rapidement :

"Les Neeroo sont faciles à aborder, ils nous ont accueilli par habitude de l’hospitalité."

Par la même il rendait un peu hommage à la grande bonté des fils de la nature. Il fallait bien le dire, peu de races étaient aussi conviviales que la leur. Des pacifistes en demeurant qui n’hésitaient pas à se transformer en de redoutables adversaires lorsqu’il le fallait. Mais tout le monde savait que la nature des hommes-bêtes et celle des Neeroo étaient parfaitement en adéquation. Il était rare que les deux races s’opposent lors des guerres, et lorsque c’était le cas c’était souvent motivé par les tromperies d’un certains nombre. L’affaire des Roguerr et des Balphomm la plupart du temps. Lucid tout à ses pensées commença à ressentir un petit malaise, il aurait voulu que la jeune renarde soit à côté de lui… Il s’inquiétait pour elle. Pour faire un peu passer cette désagréable sensation il termina la viande qu’il avait dans son assiette.

Les deux renardes redescendirent. Le teint d'Héloïse était bien encore un peu cireux, mais rien de vraiment méchant. Elles retournèrent s'assoir avec les deux hommes et, toutes les questions importantes ayant été débattues, la suite du repas se passa sans heurts.
On put toutefois noter qu'Héloïse mangea très peu.


La jeune fille fit de grands signes à la voiture qui s'éloignait, puis resta quelques instants à contempler la route. Cependant, ce n'était pas tant le départ de ses parents qui la chagrinait que le fait de ne pas savoir ce qu'elle allait raconter à Lucid à propos de cette journée.
Les deux jeunes gens avaient été d'une prudence exceptionnelle l'un envers l'autre pendant toute la seconde partie du repas, se frôlant à peine et étant très polis et distants. Mais là... Il allait falloir parler, s'expliquer un peu... Et qui sait ce qui pourrait s'ensuivre...

Elle se retourna, et entra dans la maison.

Lorsqu’elle entra dans la maison elle put trouver Lucid qui l’attendait, dans le hall, appuyé sur un meuble, n’attendant qu’une seule chose : qu’elle pénètre de nouveau dans leur demeure. Alors tranquillement il vint jusqu’à elle et la prit par les hanches tout en s’approchant d’elle. Il savait qu’elle n’avait pas apprécié l’espèce de mauvaise surprise qu’il avait annoncé durant le repars alors que ses parents étaient là. Il savait très bien que ça l’avait vexée et qu’elle avait soudain prit conscience qu’elle risquait de le perdre dans peu de temps, lorsqu’il tenterait de "conquérir" la ville de Saint Bel. Il avait alors compris à quel point elle tenait à lui et ça ne faisait que faire écho à son propre amour. Le jeune homme vint poser ses lèvres sur le front de la belle puis doucement les glissa jusqu’à sa joue, puis son cou… Il poursuivit ses petits baisers durant un moment, comme pour prendre le temps de réunir ses forces afin de s’adresser à elle. Il avait peur de dire quelque chose qui serait mal compris, de faire exploser cette tension ambiante et de risquer de la perdre. Le jeune homme ne voulait pas faire de faux pas. Il voulait rester avec elle, préserver les sentiments qu’elle avait pour lui.

"Pardonne-moi, j’aurai du tout te dire…" En cet instant, il n’imaginait pas qu’elle aussi était en train de lui cacher quelque chose.

Héloïse ferma les yeux quand Lucid l'attira contre lui. Elle respira l'odeur rassurante émanant du jeune mâle... SON mâle. Elle resta passive sous les baisers, savourant cet inattendu instant de tendresse comme il se devait. Elle noua ses bras autour de la taille de Lucid et enfouit son visage contre le torse de celui-ci. Elle en avait la certitude : elle pourrait rester ainsi des années sans le regretter. Elle pouvait envisager de vivre avec cet homme de manière prolongée. Et lui expliquer quelle était sa conception du couple, même pour l'alpha de la meute... Mais avant cela, il y avait... au moins une chose à expliciter. Et peut être même deux.

- Oui, tu aurais dû. Mais ma réaction était disproportionnée. Je suis navrée. … Et puis, on a tous de petits secrets, pas vrai ?

C'était un quitte ou double : soit Lucid s'apercevait du fait implicite qu'elle lui cachait quelque chose, lui posait la question, et elle lui parlait de ce qu'elle supposait... Soit il captait pas, et tant pis pour lui, ça attendrait qu'elle soit sûre.

Lucid voyait Héloïse comme une sorte de cadeau du destin, une clef de voute qu’aurait mis sur sa route le hasard pour lui permettre d’être certain d’avoir lorsqu’il la lui faudrait la pièce maîtresse de l’œuvre de sa vie. Il fut donc heureux lorsqu’il sentit qu’elle lui rendait son étreinte et qu’elle se blottit contre lui. Par ses paroles elle affirma qu’elle avait eu une réaction disproportionnée, ce qui n’était pas totalement vrai lorsqu’on savait qu’elle n’avait jamais envisagé clairement de le voir perdre sa vie dans son entreprise. Non, on ne pouvait décemment pas dire qu’elle avait extrapolé sa colère, elle avait eu tout à fait raison de réagir de la sorte. Mais le Sodel accepta la déclaration comme elle vint, avant d’en entendre la suite… Il ne fit pas la connexion tout de suite, la gardant un instant tout contre lui sans piper mot… Puis il se souvint ce qu’il venait de penser. Elle lui avait affirmé avoir été trop réactive face à la nouvelle, alors que de toute évidence elle n’en aurait jamais pensé un mot d’habitude. Mais là ça n’était pas de la sincérité qui transparaissait, plutôt une sorte de précaution. Comme si elle essayer de minimiser ce qu’il lui avait dit dans l’espoir qu’il en fasse autant avec ce qu’elle pourrait lui dire. Le Sodel se calma avant de s’énerver… Elle ne lui cachait pas vraiment, vu qu’elle l’amenait sur cette piste. Il détestait la manière détournée qu’elle avait de parler de certaines choses, une façon qui parfois empêcher le doberman de bien comprendre sa compagne. Il lâcha finalement d’une voix plus douce qu’il ne l’aurait cru :

"J’aimerai connaître les tiens… Je veux les connaître."

Ah.
Le Sodel-doberman avait compris le sous-entendu... Bien bien bien... Héloïse se tendit légèrement, puis s'obligea à calmer son stress en respirant calmement. Il n'y avait pas de danger qu'il le vive mal, vu la déclaration d'intention qu'il avait faite à ses parents. Mais disons que parler de « ça », alors qu'il venait de lui annoncer qu'il pourrait être tué chaque jour, ça lui semblait définitivement comme tenter le Diable, pour reprendre une expression chère aux humains. Toutefois, il fallait maintenant répondre promptement à la question implicite de Lucid, et ce avant qu'il commence à se faire des films. Il avait été très sollicité nerveusement aujourd'hui.

- Je pense qu'il faudrait mieux qu'on s'asseye., dit elle en traînant son compagnon vers le salon, et en se lovant sur les canapé. Voilà. J'ai bien compris que... tu avais envie qu'on fonde, hem... une famille. Une meute. (elle attendit l'assentiment de son compagnon) Et ça fait plusieurs mois qu'on *baise comme des lapins* couche ensemble, et toujours rien. (à nouveau une pause) Enfin, jusqu'à ce mois-ci.

Héloïse se mordit nerveusement les lèvres, les yeux fixés sur Lucid, et attendit que l'information lui apparaisse clairement.

Le jeune homme l’écouta attentivement comme il savait si bien le faire, sa bouche restant totalement immobile alors qu’il se focalisait sur les paroles qu’elle lui servait… Comme d’habitude elle tournait autour du pot, elle était bien différente de la majorité des Sodell qui se seraient lâcher d’un coup, révélant de but en blanc le secret énoncé. Il l’avait accompagnée jusqu’au salon et s’était installé dans un fauteuil, il y avait tant de majesté dans sa façon de procéder qu’on aurait put penser que c’était un trône qui venait de l’accueillir. Alors qu’elle cessait de parler, il resta figé, attendant la suite… Mais elle ne vint pas. Il devait donc comprendre. Statufié dans cet état de pure réflexion qui ne transparaissait que peu, il garda de son allure mais lorsque soudain la petite lumière s’alluma dans l’atelier "idée trouvée" de son esprit, la chose s’arrêta net. Il eût un petit soubresaut puis soudain exulta, un large sourire aux lèvres, il se leva d’un bond et vint serrer contre lui sa renarde tout en prenant garde à ne pas lui faire de mal, puis il posa doucement ses lèvres dans le cou de celle-ci avant de lui dire tout en la tenant toujours contre lui, à moitié allongé dans le canapé.

"Merci… C’est… C’est merveilleux."

La renarde sursauta quand Lucid réalisa ce qu'elle essayait de lui dire, mais fut très vite rassurée par la réaction de joie de celui-ci. Elle lui rendit son étreinte, profitant au maximum de sa chaleur. Elle se décala un peu pour leur permettre de trouver une position confortable pour tous les deux, et se pelotonna contre son compagnon. La maternité ne l'effrayait pas, c'était quelque chose de naturel après tout. Cependant, l'idée de perdre Lucid prenait d'un seul coup plusieurs dimensions : l'idée de perdre un amant est déjà désagréable. L'idée de perdre un compagnon apprécié est pire. Celle de perdre un père, un protecteur, est intolérable. Elle respira lentement.

- Tu ne prendras pas de risques inutiles, n'est ce pas ?

Elle savait bien ne pas pouvoir réellement lutter contre ce que le jeune homme penserait être des risques « utiles ». Mais limiter les dégâts pouvait s'avérer intelligent. Et si elle se débrouillait bien, elle pourrait peut être lui extorquer la promesse de ne pas chercher les ennuis. Elle le regarda donc avec de grands yeux de chiot abandonné sur l'autoroute par un maître particulièrement cruel.

Le futur père pouvait être stupide, il pouvait même ne pas être bien doué pour les relations humaines, mais en tout cas il connaissait sa compagne, et il n’avait pas douté un seul instant qu’elle en viendrait à lui parler ainsi. Posant doucement sa main sur le visage de sa belle et tendre, il caressa sa peau chaude et délicate puis l’embrassa délicatement. Il ferma ensuite les yeux et la serra doucement contre lui sans dire le moindre mot. Elle voulait qu’il évite les risques inconsidérés… Mais le simple fait de vouloir fonder une meute représentait un risque énorme. Dans un endroit où il n’y avait pas de Sodell c’était l’assurance de se mettre à dos toute une communauté de Roguerr, dans un lieu où sa race était présente, ça signifiait tenter de mettre en échec la meute principale déjà en place si on ne souhaitait pas s’y soumettre. A peine les parents de la jeune fille étaient-ils partis, il venait d’apprendre qu’il serait père. Et cette nouvelle ne l’incitait pas à la prudence, non, bien au contraire, il n’avait que plus envie encore d’en découdre pour faire une place à ses enfants dans ce monde, dans cette ville ! Mais ça, il ne pouvait le formuler clairement sans risquer de tout perdre. Il ne voulait pas mentir à sa jeune partenaire, il manqua même de refuser de lui répondre, mais finalement il lâcha quelques mots :

"Tous mes actes auront pour but de vous rendre heureux. Toi et nos enfants."